samedi 18 février 2012

Les Contes de Dame Mélie: treizième chapitre

Les Chroniques de la Nouvelle Calebaïs
D'une visite amicale qui se transforme en chasse au Démon


Gilbert de Montpallier fut heureux de voir arriver la Troupe, bien qu'il fut quelque peu étonné car il attendait Gilles de Jerbiton. Il présenta aux Magi sa fille, Jeanne, âgée de quelques mois. Nathanaël de Tytalus l'interrogea sur les attaques de loup et il s'excusa d'avoir poussé les fauves à se rendre sur les terres de Calebaïs à force de battues successives, bien qu'il ne comprit pas en quoi cela pouvait nuire à ma maîtresse et ses proches. Le seigneur d'Acqs accepta de fournir l'équipement permettant de se rendre au sommet de la Gnioure.  

Invités à la table de Gilbert, les Magi découvrirent la Dame de leur hôte, une femme magnifique et souriante, innocente qui plus est, selon les dires de Nathanaël de Tytalus. Il détecta une profonde corruption dans le cœur de sa dame de compagnie, Mirehla, également nourrice de leur enfant. Nathanaël s'enquit de ses soupçons auprès du chevalier qui ne voulut rien en croire et se déclara incompétent. Il proposa au Magus de rencontrer le Père Blaise, un bedonnant et jovial curé porté sur la boisson. Le religieux s'avéra lui aussi suspicieux et expliqua qu'une nonne de Sainte-Douceline devait arriver d'ici les premiers mots de l'enfant pour s'occuper de son éducation, et contrebalancer l'influence néfaste de la nourrice.

Suite à un étrange quiproquo avec Nathanaël de Tytalus, le Père Blaise décida de rendre visite à Dame Mélisandre qui venait de rater la messe des mâtines. Inquiet de ce que pourrait dire ma maîtresse au prêtre, le Magus fit sonner les cloches de l'église à tout rompre pour détourner l'attention. Il raccompagna le curé et l'invita à boire un verre. Rapidement convaincu, le Père Blaise sortit un tonnelet d'hydromel et accepta un défi à base de gages lancé par le Magus. Aidé par sa magie, il parvint à lui faire effectuer diverses épreuves que je qualifierais d'hérétiques comme réciter le Notre Père à l'envers ou encore déclamer un Ave Maria sur un air de chanson paillarde. Le bon curé s'effondra finalement, vaincu par des pouvoirs qui le dépassait et un hydromel d'une qualité certaine.

Nathanaël de Tytalus rejoignit ma maîtresse et ils commencèrent à bâtir un plan pour se débarrasser de la nourrice maléfique. Ils ne purent cependant mener leur plan à exécution. En effet, un accident coûta la vie à la seconde nourrice en charge de Jeanne, Clotilde, une jolie jeune femme, amie d'enfance de Frénégonde de Pamiers, désormais épouse de Gilbert. Mélisandre de Merinita profita de l'occasion pour se rapprocher de Mirehla et lui lança un sort, l'affligeant d'anormalement brillants yeux de chat. Souriant de son idée, elle se rendit en cuisine pour déjeuner, oubliant la mort de la pauvre nourrice.

Isolée au milieu de marmitons apeurés par la présence d'une Dame, elle brisa la glace rapidement en s'inquiétant de leur condition et en les questionnant sur la vie au château. D'après les rumeurs qui bruissaient dans les cuisines, le noble chevalier de Montpallier aurait eu une aventure avec Dame Clotilde. D'après les jeunes serviteurs, les provisions rassemblées pour tenir l'hiver ne seraient pas suffisantes, et combinées aux attaques de loup, cela faisait gronder les villageois. Le Père Blaise quant à lui était ouvertement considéré comme un ivrogne, responsable de plus de nombreux désagréments pour les habitants depuis qu'il avait installé de nombreuses ruches pour développer sa distillerie d'hydromel.

Sans nul doute inspiré par un bon repas, Dame Mélisandre décida d'ourdir un artifice sophistiqué pour piéger la nourrice maléfique. Elle créa à l'aide de plusieurs sorts fantasmatiques trois visages de Clotilde sur les murs de la salle à manger. Ils reçurent pour consigne d'apparaître à l'entrée de Mirehla, de Gilbert et du Père Blaise et de prononcer quelques mots en latin: "Mirehla m'a tué". Nathanaël de Tytalus quant à lui parcourut le manoir fortifié à la recherche d'autres personnes corrompues. Un garde et un palefrenier correspondirent à ses critères stricts mais il décida de conserver cette information par devers lui.

A la mi-journée les Magi rejoignirent la vaste salle à manger avant que les autres acteurs de la tragédie ne s'y rendent. Ils n'eurent pas longtemps à attendre pour voir arriver Mirehla qui déclencha le premier visage illusoire. Nombre de convives crièrent et hurlèrent, notamment en constatant le regard démoniaque de la nourrice. Mélisandre de Merinita s'amusait follement et eut de grandes difficultés à jouer la comédie devant l'assemblée médusée. Affolée la sectatrice démoniaque tenta de fuir la pièce avec Jeanne dans les bras. Elle n'eut le temps que de faire quelques pas, quand une seconde tête apparut sur le mur opposé, déclamant les mots fatidiques. Gilbert de Montpallier venait de pénétrer dans la pièce. Se sentant piégée, Mirehla saisit un couteau et menaça l'enfant. Le chevalier devança l'action des Magi, et dégainant son gigantesque espadon le projeta d'un seul mouvement en direction de la ravisseuse, la clouant au mur, comme une aiguille l'aurait fait d'un insecte. Avant que quiconque ne puisse se questionner sur la force nécessaire pour un tel exploit, le bébé tomba des bras de la moribonde et ne fut sauvé que par la magie de Nathanaël de Tytalus. Frénégonde d'Acqs arriva sur ses entre-faits, et interloquée, se précipita vers sa fille. Gilbert de Montpallier, demeurant coi, desserra les dents pour ne laisser échapper que deux mots: « A table! ».

Le corps ensanglanté toujours cloué au mur, le repas ne fut égayé que par les rires et les bons mots de Dame Mélisandre qui ne semblait que peu affectée par les derniers évènements. La suite lui fut plus déplaisante. Toute la maisonnée, de la Dame à la dernière souillon, fut conduite à l'église par les hommes d'armes qui fermèrent les grilles du castel puis se cloîtrèrent dans le lieu consacré avec l'ensemble des habitants des lieux. Ma maîtresse tenta de se placer au plus loin de l'autel, mais en tant que noble invitée, elle ne put que mettre quelques pas entre elle et le rituel qui débutait. Nathanaël de Tytalus secondait le Père Blaise lors d'un exorcisme censé libérer le corps de la nourrice abattue du démon. L'office faisait son œuvre et une nauséabonde fumée ébène s'échappa de la bouche du cadavre. Elle fut dissipée peu à peu par les chants du prêtre et ses aspersions d'eau bénite.  

Malheureusement pour Mélisandre de Merinita l'épreuve n'était pas terminée. La Maison de Tytalus est réputée pour savoir débusquer le démon et Nathanaël fit honneur aux anciens chasseurs de Démons. Un jeune diacre vêtu de blanc prit feu et des flammes bleues commencèrent à le consumer. Le Père Blaise tenta d'éteindre l'incendie qui ravageait l'adolescent hurlant de douleur en lui versant les fonds baptismaux dessus mais il ne fit qu'empirer la Géhenne du jeune homme. Ce dernier finit en quelques instants en un cadavre cramoisi et recroquevillé au sol. Peu après le berceau prit feu à son tour et Jeanne fut légèrement brûlée avant d'être retirée des flammes par sa mère. Mélisandre retira le berceau loin de l'attention des témoins et récupéra les restes carbonisés d'objets servant au culte de Satan.

La fatalité semblait s'être abattue sur Acqs et une longue messe qui mit au supplice ma maîtresse fut célébrée dans la foulée ; Gilbert de Montpallier ne laissa nul de ses hôtes choqués rejoindre ses pénates. Jeanne reçut un long et éprouvant baptême pour purifier son corps et son âme. Tentant de détourner son attention d'une cérémonie qui la mettait mal à l'aise, Mélisandre se concentra sur les participants. Elle détecta plusieurs objets magiques au sein de l'assemblée, et notamment une magnifique hallebarde entre les mains du chef de la garde, Siccard Pajerol, un homme d'une quarantaine d'années au visage taillé à la serpe, froid et laconique. Elle se rendit compte également que Frénégonde de Pamiers portait au cou un collier dont l'aura magique ne faisait aucun doute.

N'oubliant rien des lourds besoins hermétiques de l'Alliance, les Magi invoquèrent des impératifs magiques incontournables pour récupérer la cendre des deux corps démoniaques au pied de leur bûcher. Bien leur en prit car ce fut une grande quantité de Virtus qui rejoignit les coffres de la Nouvelle Calebaïs. Le repas du soir fut triste et silencieux, sans compter l'absence d'une partie de la maisonnée qui s'était faite porter pâle. Au petit matin un groupe de paysans en colère fut reçu par le chevalier de Montpallier. Ce dernier dut de plus faire face aux révélations des Magi au sujet du Baron de Pamiers, son beau-père, qu'il nia en bloc. Il accepta néanmoins d'envoyer le Père Blaise rendre compte de la situation à l'évêché, à Carcassonne. Le seigneur d'Acqs préviendrait également son suzerain de se tenir sur ses gardes. Les Magi le convainquirent par ailleurs d'accepter un de leurs suivants pour assurer la protection et la surveillance de sa fille Jeanne jusqu'à l'arrivée de la nonne du couvent de Sainte-Douceline. Jasmine, dissimulée par la tenue de troubadour Arlequin, gagnerait Acqs dès leur retour à Calebaïs.

Lors de la discussion avec le maître des lieux, Dame Mélisandre fut intriguée par une tête de loup blanc empaillée, d'une taille inhabituelle, fixée au mur. Elle se souvint soudain avoir aperçue cette bête des années auparavant, lors de son Gant. La bête accompagnait alors un loup noir gigantesque, un Magus de la Maison Bjornaër selon elle. La Troupe apprit que les paysans étaient venus se plaindre des attaques répétées des loups contre des villageois, qui étrangement ne comptait que des blessés. Craignant une contagion massive de métamorphoses à la prochaine Lune, les Magi décidèrent d'envoyer Luigi Vasco, leur herboriste, faire le tour des hameaux pour recenser les blessés sous couvert de les soigner. Biccente, Eduardo et Tederic, soldats de la Turbula, accompagneraient le Maître artisan.

Avant de quitter le castel, Nathanaël de Tytalus mena des recherches sur la famille disparue de la seigneurie d'Acqs. De grands mystères règnent depuis des siècles sur nombre de disparitions étranges, mutilations, attaques de loups... Il fut impossible à la famille régnante de venir à bout de cette malédiction dont ses membres furent eux aussi victimes. Brûler et traquer les maudits ne suffisait pas à protéger la région, qui peu à peu se vida de ses habitants jusqu'au début du millénaire où les archives perdent trace de la famille d'Acqs, sans doute disparue suite aux purges et massacres. La seigneurie fut alors abandonnée par la famille de Blancastel et seuls quelques hameaux à moitié vides subsistaient autour du village d'Acqs moribond.  

La destruction des démons ne semblait pas suffire aux esprits taquins qui peuplaient la seigneurie maudite d'Acqs. De nouveaux dangers et mystères attendaient ma maîtresse et ses compagnons dans les mois qui allaient suivre.

La suite...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.